DANS LA JUNGLE DES MOTS
En plein Central Park, deux inconnus se rencontrent sur un banc. Jerry tient coûte que coûte à raconter à Peter ce qui lui est arrivé au zoo. Mais petit à petit cette conversation du dimanche s’enlise dans des eaux obscures et Peter se retrouve pris dans la spirale inextricable des questions et des confidences de son interlocuteur. Comment sortir vivant de cette jungle existentielle ?
Le duo Katan-Val poursuit son heureux compagnonnage avec le Poche- Montparnasse. En ces murs, ils ont joué Le grand Théâtre de l’épidémie ; Cabaret Mai 68 ; Cabaret Liberté ! ou encore Moâ, Sacha ! Il y a deux ans, aux côtés de Patrice Carmouze, les deux comédiens rendaient hommage au prince de l’humour grinçant dans le cabaret Attention Desproges !
JERRY
Ça vous embête quand je vous pose des questions ?
PETER
Oh, pas vraiment.
JERRY
Je vais vous dire pourquoi je fais ça. En fait, je parle pratiquement à personne, sauf de temps en temps pour dire: « une bière, s’il vous plaît », « où sont les chiottes ? »,« à quelle heure il passe le film ? »,ou alors « Me touche pas, toi ! », ce genre de trucs, quoi.
PE TER
Je vous avoue que j’ai pas trop l’habitude de…
JERRY
Mais de temps en temps quand même j’aime bien parler à quelqu’un, parler vraiment, vous comprenez. Faire connaissance, tout savoir de l’autre.
PETER, riant légèrement, toujours pas très à son aise. Et aujourd’hui, c’est moi le cobaye ?
On parle souvent de théâtre de l’absurde lorsqu’on se réfère au théâtre d’Edward Albee. Mais Zoo story apparaît avant tout comme une pièce sur le récit : celui du zoo, qui emporte Peter et le public dans une fascinante mise en abîme de la narration théâtrale.
À travers la métaphore du zoo, on peut établir un constat : celui d’une société humaine qui n’a fait que poser des barreaux entre elle et le vivant, entre elle et elle-même, créant les conditions d’une grande détresse et d’une immense solitude. Ce constat dressé par Edward Albee ne se trouve pas démenti par le cauchemar que nous sommes en train de construire : celui d’un monde où, encouragé par les nouvelles technologies et la prolifération d’écrans, chacun fabrique ses propres barreaux, s’isolant davantage des autres, déconsidérant ce qui l’entoure, sombrant dans l’indifférence au collectif.
Pourtant, il nous faut bien considérer la relation à l’autre. C’est le cri que pousse Jerry : « C’est juste que si on n’arrive pas à entrer en relation avec les gens, il faut bien essayer ailleurs. Il faut bien trouver un moyen d’entrer en relation avec quelque chose ». Le théâtre, s’il ne peut résoudre les grandes questions du monde et de la société humaine, peut tout de même contribuer à nous révéler une évidence : qu’il est encore temps et possible de vivre ensemble et que ça n’est pas si désagréable.
Auteur : Edward ALBEE
Traduction et mise en scène : Pierre VAL
Avec
Sylvain KATAN et Pierre VAL
Lumières : François LOISEAU
Durée 1h10
Production Théâtre de Poche-Montparnasse
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